Né en 1985 à Oumako (Rép. du Bénin), Elon’m Catilina Tossou s’affectionne très tôt pour le dessin. Sa peinture porte un questionnement redondant : comment attraper, rattraper, poursuivre le temps qui s’en va. En empruntant au réalisme cet attrait pour la représentation, et à l’abstraction sa poétique, Elon’m Catilina Tossou dépeint la vie quotidienne, les réalités endogènes, et les forces féministes environnantes. Sa technique est mixte, et son narratif résolument socio anthropologique.
Pépites d’Afrique : Comment rattraper, attraper, poursuivre le temps perdu ? Cette interrogation pourrait justifier l’ampleur que vous donnez à votre processus pictural : dépeindre l’envers des traditions, leur conservation, et leur transmission. Mais si vous deviez parler de votre pratique artistique, que nous diriez-vous ?
Elon’m Tossou : Je m’appelle Elon’m Catilina Tossou, je suis peintre, et sculpteur béninois. Mon nom d’artiste est Elon’m. Et si la première interrogation de votre interview tend à poser les bases d’une de mes préoccupations originelles en recherche plastique, elle ne dit pas tout de ce que veut dire pour moi rattraper, poursuivre le temps perdu. On ne peut rattraper une chose sans avoir fait l’expérience de son existence, et de sa disparition. Le temps, ce que j’en fais, joue sur ce qu’il deviendra. Il y a des choses qu’on perd avec le temps, et qu’on ne pourra jamais rattraper. On ne peut rattraper que la poussière que le temps qui se perd aura laissée, une poussière faite de choses ambigües, et de souvenirs. Lavoisier disait d’ailleurs à cet effet : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Ainsi, ma pratique artistique n’est-elle qu’une forme tangible de conservation des valeurs traditionnelles endogènes des peuples noirs. On ne peut qu’écrire, on peut que laisser l’image et on ne peut que laisser les signes qui (re) tracent l’histoire de nos ancêtres, l’histoire de notre passage sur cette terre.
Pépites d’Afrique : Quel a été l’élément déclencheur qui vous a amené vers l’art, vers la création, vers la poétique des formes, et des volumes ?
Elon’m Tossou : Il y a eu pas mal d’éléments déclenchés, et de raisons qui m’ont amené vers les arts visuels. Je vous parlerai d’abord de mon amour pour le dessin qui date de la fin des années 80 (1989 plus précisément). Mon père a d’ailleurs conservé une grande de mes gribouillages enfantins qu’il ne m’a transmis que très récemment. Et puis me vient à l’esprit un moment de partage, de réflexion philosophique que j’ai eu avec mon père, un après-midi ordinaire à la place de l’année 1991. Devant cet océan qui seul venait laisser échouer ses vagues sur la rive, les formes que je pouvais y lire, les traces laissées par cet exercice de la nature, je demandais à mon père ce que voulait dire être humain… Ce sont des questions qu’un enfant a posé à son père sans toutefois cerner la véritable valeur des réponses qu’il a eues. Une autre fois, je me suis accroupi à la plage à même le sol, j’ai creusé dans le sable un trou d’à peine trente centimètres de profondeur. Je suis munit d’une petite boîte de conserve que j’utilisais pour chercher de l’eau de cet océan afin de le vider de cette eau turbulente, bouillante, qui se mut sans aucune intervention humaine. Dans cette entreprise, je retrouvais des pinceaux échoués sur les rives de cette plage : mon père me faisait alors comprendre que c’était peut-être les outils d’un peintre. Il a très tôt compris mon affect pour l’art, et a souvent mis à ma disposition des bouquins qui devait alimenter ma curiosité. Ce sont ces premiers bouquins qui m’ont aidé à faire de la reproduction, à dessiner ce que je voyais.
Au-delà de cet affect pour les belles choses que la nature me laissait voir, j’ai été très tôt bercé dans la musique qui était une affaire familiale (ma famille paternelle). Ma grand-mère paternelle était une cantatrice hors-pair. Je porte encore sa voix dans mon cœur (paix à son âme). Elle était une artiste pluridisciplinaire ayant vécu toute sa vie en Guinée Conakry sous le régime de Sékou Touré (mon grand-père fut ingénieur de BTP à l’époque, en Guinée Conakry). Elle travaillait le batik qu’on appelait communément guinée vô ou ahô vô dans le Dahomey d’alors ; il m’est déjà arrivé de l’aider dans le processus de réalisation des batiks en lui faisant des dessins de motifs. Cet héritage artistique a nourri l’artiste plasticien que je suis devenu.
Pépites d’Afrique : Comment expliqueriez-vous votre processus de travail, l’avant, et l’après naissance de vos œuvres ?
Elon’m Tossou : Une œuvre d’art n’est qu’un être humain. Une œuvre d’art n’est qu’une partie de l’être humain. Mon travail dépeint des énergies sur des supports. Tout ce qui traverse ma pensée, tout ce que je sens, et qui contient de l’énergie positive je les transforme, je leur donne vie. Tout vient comme ça, naturellement. L’être humain vient sur cette terre par deux sujets : l’homme, et la femme. Mais l’art vient par un être ou par un esprit. Il est semblable à un événement voire une cérémonie qui porte l’invisible au visible comme une offrande à la vie.
Pépites d’Afrique : Quelle est la place du symbolisme, et de la représentation dans votre production ?
Elon’m Tossou : Le symbolisme, c’est la déclaration explicite de mes pensées, qu’elles soient codées ou inexplicables. Il peut prendre dans mon œuvre une forme abstraite ou réaliste. Aussi, la nature des gestes symbolistes implique parfois une certaine retenue : il faut apprendre à faire avec « dame » nuance, et les non-dits. C’est comme une tradition cachée qui ne peut être révélée que par des adeptes, des dévots de la chose. Connaître davantage les histoires séculaires qui entourent une forme, un signe, une couleur permet de mieux travailler l’acte symboliste, ou les actes symbolistes dont peut se vêtir l’œuvre pour exister. Je pourrais vous parler d’un élément cultuel, et culturel, le Fâ, qui sans nul doute relève du symbolisme. Il y a le vocal, le moral, les chansons, les codes, et même les “verbes” y afférents pour donner vie à des histoires. Voilà une des forces de l’art contemporain béninois, celui va puiser dans l’ancien pour le renouveler.
Pour être artiste, vous devez apprendre à comprendre, à décoder. Tout est symbolisme sur cette terre. La terre, le symbole carré lui sert de vecteur de représentation. Le triangle évolutif, c’est le feu, le triangle involutif c’est l’eau. Dans un passé récent, une de mes grandes mères, ayant atteint une dimension élevée dans l’interprétation des signes, pouvait lire les messages cachés dans les nuages. Dans ma quête de captation du temps, il m’arrive de lire, d’interpréter les moisissures, les dégradations qu’on retrouve sur les murs. J’en fais des lectures, je communique avec ces signes. Si tu verses de l’eau au sol, quelque chose apparaît. Tu te positionnes, et tu te poses des questions. Voilà la force du symbolisme.
Le symbolisme peut être interprété dans le battement des tambours, le symbolisme peut être interprété dans une représentation réaliste. Toute œuvre d’art qui ne questionne pas n’est pas une œuvre aboutie.
Pépites d’Afrique : Quels sont les apports de l’anthropologie, et de la sociologie à votre production ?
Elon’m Tossou : Vivre dans une société, c’est renouveler des moments de partage. Tout ce que je vois, je le transmet à un support pour laisser survivre la connaissance à mes semblables, pour changer mes semblables, pour partager, pour communion avec mes semblables. Voilà mon travail d’anthropologie, car l’anthropologie c’est aussi l’ensemble de notre point commun : l’humain au cœur des questionnements sur le monde. Partager, transmettre un peu ce que je détiens comme savoir, ou ce que je détiens comme valeur avec l’autre. Les œuvres issues de ce travail sont souvent des capteurs sociaux.
Pépites d’Afrique : Comment définiriez-vous l’art contemporain ?
Elon’m Tossou : L’art contemporain, l’expression art contemporain pour moi, n’est qu’une expression vulgaire. Parfois je le considère comme un concept ou bien un courant politique qui berne toute l’Afrique dans une fosse commune, une fosse commune de l’art. L’art contemporain est l’art comptant pour rien parce que l’art demeure l’art. Il n’a pas besoin de s’affubler de dénominations, et de concepts taillés dans de vils desseins. L’art est une chose essentiellement esthétique, et spirituelle : il n’y a plus d’autre forme, il n’y a plus d’autre manière de l’interpréter. Il n’y a même pas une expression qui puisse l’interpréter explicitement. Moi je ne fais pas de l’art contemporain.
Pépites d’Afrique : Comment percevez-vous la peinture contemporaine ?
Elon’m Tossou : La peinture demeure la peinture. La vérité du cœur, la vérité de l’esprit. Je mettrai à la place le mot « contemporain » vérité de l’esprit. La peinture contemporaine n’est qu’une partie du paraître de l’être qui est mis sur un support. L’art est toujours l’art. Travailler la peinture n’est qu’un exercice thérapie, et d’’incorporation d’une force, d’une énergie dans un support de façon lucide.
Pépites d’Afrique : Dans l’œuvre Adanhoun (transe, dance), certains marqueurs cultuels ont été mis en lumière. Quel dessein sous-entend ce choix esthétique ?
Elon’m Tossou : Adanhoun (transe, dance) veut dire la danse de la transe. Transe qui danse. Lorsque le corps est habité par une force surnaturelle, elle n’est qu’un sujet manipulable ou exécutable devant l’être qui n’es pas initié dans cette direction. Sur la toile, un être pensif par rapport son passé, ce qu’il était, ce qu’il avait vécu dans la transe au moment où le tambour résonne. Le tambour résonne et la force l’emporte, l’énergie l’envahit, le corps ne se contrôle plus. C’est après l’habitation de l’esprit qui habite le corps, il laisse le corps après sa mission. Parfois le corps reste fatigué, étourdi … C’est comme lorsque l’homme devant la femme, la femme se déshabille doucement, doucement et l’homme découvre la nudité de la femme, ça l’emporte et l’homme ne se contrôle plus. C’est comme ça l’art. C’est pourquoi je dis parfois, que l’art est une énergie féminine et l’art c’est Dieu. Comme je le dit souvent, : « l’homme pleure et rit pour la même cause qui est lui-même ».
Pépites d’Afrique : Parlez-nous un peu de votre actualité.
Elon’m Tossou : Mon actualité ? Elon’m travaille, il travaille toujours et il poursuit d’autres recherches. Nous avons des projets en cours. Actuellement Elon’m est au Bénin, il travaille sur des projets personnels pour le moment. Je pense que du jour au lendemain je vais le présenter au public béninois ou peut être dans la sous-région ouest africaine. Mais quoi qu’en soit tout ce qui est pour le Bénin demeurera toujours pour le Bénin. Je suis fils du Bénin, même si j’ai une origine lointaine yoruba, il faut chercher à s’arrimer à l’ancre de son histoire. Donc je dois le faire correctement, symboliquement, partager et marquer leur existence. Et je sais que les mânes de mes ancêtres me protègent, me suivent.
Pépites d’Afrique : Pour Pépites d’Afrique.
Elon’m Tossou : Merci à Pépites d’Afrique, et à sa promotrice Mme Lydie da Silveira.
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