Interview

Interview Achille Adonon

Achille Adonon est né en 1987. Artiste plasticien béninois, son savoir-faire lui vient des relations d’apprentissage qu’il a noué avec ses aînés et de ses propres recherches dans les livres et dans les ateliers lors de résidences d’art. Lauréat du prix du meilleur sculpteur contemporain à la Biennale de Dakar 2022, il nous a accordé cette interview pour notre blog Pépites d’Afrique.

Pépites d’Afrique : Du lyrisme, et de la sensibilité des matières, vous, Achille Adonon en tirez quelques fois des portraits apocalyptiques : chaussures usées, bouteilles, silhouettes difformes, et enfances délaissées cohabitent au gré de vos dessins, sculptures, peintures, installations, documents photographiques. Si vous deviez parler de votre pratique artistique, que nous diriez-vous ?

Achille Adonon : Ma pratique artistique ? Elle est transdisciplinaire dans la mesure où mes premiers travaux plastiques ont d’abord touché au dessin. Il était alors question d’interroger la part de monstruosité humaine dans une création en deux dimensions. Ce fut une époque de ma production assez sombre parce que les personnages que je laissais survivre dans mes dessins semblaient fort torturés, déconstruits, et résolument déstructurés. J’aimais également allier à ces personnages des gribouillis, des écritures qui n’avaient aucun sens matériel. Je les voyais plutôt comme des idéogrammes, voire des pictogrammes. La plupart du temps, ces gribouillis formaient des vortex, des cerceaux de lignes aux allures d’ouragans. Cette écriture est restée dans mes dessins, et refera surface plus tard dans mes peintures. Ma sculpture porte plutôt des desseins poétiques, et anthropologiques : ce que le passage humain laisse, la poussière de tous les corps, et la vanité de l’existence.

Pépites d’Afrique : Quel a été l’élément déclencheur qui vous a amené vers l’art, vers la création, vers la poétique des formes, et des volumes ?

Achille Adonon : J’avais entrepris depuis quelques années une recherche sur la représentation des visibilités, ce que notre société nous sert comme représentation, et auquel nous ne sommes pas toujours sensibles. Parcourant les rues des villes de Cotonou, et d’Abomey-Calavi, mon regard s’est accentué à la fois sur les enfants de la rue qui étaient généralement pieds nus, et les chaussures usées qui parsemaient ces villes : un contraste. Mes sculptures d’assemblages de chaussures, de rebuts, émanent donc de cette contradiction visuelle. L’élément déclencheur, celui qui m’a amené, c’est donc le spectacle que mon quotidien me servait, et auquel je souhaitais associer des mots, des formes, des volumes, et des couleurs.

Pépites d’Afrique : Comment expliqueriez-vous votre processus de travail, l’avant, et l’après naissance de vos œuvres ?

Achille Adonon : Je collectionne d’abord les choses visibles qui m’entourent à travers des marches, et autres pérégrinations. Je vois de l’art dans les ombres qui habillent les murs, et le sol la nuit. Je vois l’art dans les arbres qui dansent au contact du vent-musique. Je ne crée pas une œuvre qui soit étrangère à la vie qui m’espionne au quotidien, et qui dicte les formes qu’elle prend.

En sculpture, mon processus de création commence par une collecte, sélective, des chaussures usées que je retrouve habituellement dans les coins de rues, ou sur les décharges d’ordures : couleurs, formes, états, marques, textures sont autant de paramètres qui entrent en ligne de compte dans mon entreprise de collecte. La symbolique que je voudrais suggérer en entreprenant cette démarche artistique tient en cette phrase : si les propriétaires de toutes ces chaussures étaient unis, le monde aurait une chance d’éviter les atrocités sous lesquelles il croule. Pour moi, chaque chaussure symbolise un enfant de la rue : mes sculptures leur offrent une maison, un refuge fixé dans le temps et l’espace.

Pépites d’Afrique : Dans le projet de recherche Ethique, et politique du cadre, vous vous êtes intéressé aux formes que pouvaient prendre les restrictions sociales, économiques, et psychiques en donnant à la symbolique de la bouteille des allures de geôlière. Parlez-nous des résultats de ce travail de recherche.

Achille Adonon : Ethique, et politique du cadre est une recherche sur les formes de prisons, de lieux fermés, et de contraintes psychiques, physiques qui déterminent la construction de l’humain. Ce travail, très poétique, et est imbue d’un certain lyrisme. J’avais décidé d’emprisonner des corps dans des bouteilles, des corps humains, des corps de choses informes, des corps d’émotions pour traiter de l’éternel esclave que l’Homme demeure.

Aussi, cette réflexion sur les bouteilles constitue aussi pour moi une sorte de thérapie. En effet, j’ai été enclin à une maladie fort désobligeante qui m’avait écarté de mes semblables pendant quelque temps. Cette maladie, je l’ai vécue comme une prison, mon corps prisonnier de la maladie, moi prisonnier de mon corps. Après ma guérison, je fus tenu de ne point continuer à cultiver certaines habitudes dans lesquelles je trouvais quelques jouissances : « Vous ne devrez plus boire une goutte d’alcool, et certaines boissons gazeuses, me disait le Docteur ». Les bouteilles dénotent d’un cadre de captation mémorielle, éthique, mais aussi politique. Je pense comme Hannah Arendt, relisant Kant, que l’imagination est une faculté politique.

Pépites d’Afrique : Pourquoi ces bouteilles reviennent, s’installent dans vos dessins, et peintures depuis le début de cette recherche ?

Achille Adonon : Les bouteilles ? Trivial comme ferment de recherche tout de même. Je vois en ces bouteilles des sortes de prisons, de cadre dans lesquels se jouent les jeux restrictifs imposés par un ordre social, politique, ou économique. J’y associe également cet aspect mémoriel qu’elles tiennent de plusieurs « civilisations » en ce sens que les bouteilles servaient non seulement de contenant aux spiritueux pour les cérémonies festives ou funéraires, mais aussi de vecteur de communication pour des naufragés de navires de guerre, de négriers, de commerce, ou de corsaires qui pouvaient les utiliser dans l’optique de laisser des mots d’adieu ou d’aide ;  des populations laissant les traces de leur passage en mettant des parchemins dans des bouteilles qu’elles enterrent. Cette entreprise de recherche sera creusée prochainement dans le cadre d’une résidence…

Pépites d’Afrique : Il y a cette série de dessins dénommés Le Cri. Avez-vous voulu rendre hommage à Edgar Munch ou est-ce une réflexion qui porte un autre dessein ?

Achille Adonon : Cette série de dessins n’est surtout pas un hommage à Edgar Munich. Mes Cris portent d’autres desseins. Il y avait l’urgence de représenter la détresse des enfants de la rue, cette thématique qui constitue pour moi un écueil à problématique sociétale incommensurable. J’ai essayé à travers ces dessins de donner visages, et émotions aux enfants abandonnés, de lever le voile sur une réalité que d’aucuns travaillent à invisibiliser. C’est donc de l’enfance en cri, et en appel que je voulais parler.

Pépites d’Afrique : Pourquoi les personnages qui habitent vos œuvres bidimensionnelles sont-ils difformes, et déstructurés ?

Achille Adonon : Je crois que la réalité est trop laide pour qu’on lui consacre une transcription fidèle. Les corps, pour moi, n’ont pas vocation à dépeindre les illusions, ou les utopies qui les construisent. Ils doivent refléter la nature bestiale de l’Homme, son autre lui qui fonde certains de ses gestes. Mes personnages sont difformes, et déstructurés par ce qu’ils veulent laisser mourir le mythe de l’homme, cet être candide, et débonnaire.

Pépites d’Afrique : Vous aviez remporté à la Biennale de Dakar 2022 le prix du meilleur sculpteur contemporain. Quelles ont été les conséquences de ce prix sur votre production sculpturale, et partant sur votre carrière ?

Achille Adonon : Ce prix m’a ouvert beaucoup de portes. Il m’a permis de rencontres quelques grandes figures de l’art contemporain d’Afrique, et d’ailleurs. Ça a été aussi une motivation pour aller plus loin, pour creuser davantage ma pratique sculpturale.

Pépites d’Afrique : Vous explorez depuis 2021 une matière : la photographie. Pourquoi avoir entrepris l’exploration de ce médium ?

Achille Adonon : J’avais envie de documenter mon processus de collecte qui donne naissance à mes sculptures. Il fallait une matière qui rende davantage visible le chaos dans lequel végète les chaussures qui rentrent dans mes assemblages de rébus. Ce n’est que trop récente pour que je puisse en parler abondamment. C’est encore un terrain vierge dans ma production que je continue de, à labourer.

Pépites d’Afrique : Parlez-nous un peu de votre actualité.

Achille Adonon : Je suis actuellement à l’espace Pluridisciplinaire Le Centre de Lobozounkpa à travers un duo show, Amà fífá mĭn . Je travaille également sur quelques projets de résidence, et de recherche en documentation photographique.

Pépites d’Afrique : Pour Pépites d’Afrique.

Achille Adonon : Mes encouragements, et mes remerciements à l’endroit de la Galerie Pépites d’Afrique qui travaille à mettre en lumière les artistes contemporains africains.

Focus oeuvre

Le cri 2

150,00

Artiste : Achille Adonon
Technique : Crayon et Stylo
Dimension : 18 cm x 22 cm
Année : 2019
Pays : Bénin
Encadrement : sur demande du client

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Catégorie :
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Artistes

Achille Adonon

Pays

Bénin

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